Aïkido Lyon 3

Autonomie

samedi 29 juin 2013, par Marc

Ce qui suit est extrait d’un courrier que j’ai envoyé à mes élèves après les problèmes que nous avons eus avec l’adjoint aux sports du 3è. J’en ai profité pour leur expliquer l’état d’esprit de leur enseignant, pour ce qui concerne l’aïkido. Je reprends ici seulement cette partie...

Chaque enseignant a sa personnalité. Beaucoup de professeurs pensent que les techniques ne sont que des outils pour faire de l’aïkido... Pour ce qui me concerne, je pense que l’aïkido n’est qu’un outil pour se sentir bien dans sa vie. C’est tout. La pratique permet une transformation qui passe par le corps pour devenir ensuite une transformation de l’esprit : souplesse intellectuelle pour l’adaptation aux situations conflictuelles, et droiture (shisei). L’objectif de ma pratique n’est pas de devenir un meilleur technicien d’aïkido, mais de rester autonome et d’amener les élèves à le devenir. C’est le but de la pratique. Mais contrairement à certains professeurs qui prétendent mener leurs élèves à l’autonomie en les maintenant sous leur coupe, moi je considère d’emblée les élèves comme autonomes. Je ne vais que les aider pour aller plus loin dans cette voie.

C’est ce qui explique que je me fous de ce que vous faites. Je ne vous juge pas. J’apporte juste mes connaissances personnelles (c’est à dire avec mes défauts aussi), à qui veut les prendre. Ceux qui veulent venir viennent, c’est ouvert. C’est même gratuit. Mais ce que vous faites de cet enseignement est votre problème. Je n’attends rien de vous, chacun est responsable de lui-même. Je n’attends ni gratitude, ni remerciements. On m’a donné un enseignement, je le transmets selon ma conception. Personne n’est obligé de venir. Il n’y a pas de jugement, mais pas non plus de grade, de droits ou de devoirs − sinon le respect entre nous tous. C’est juste un contrat moral dans lequel je vous propose d’apprendre ce que je sais, et la seule chose que je vous demande c’est d’avoir du plaisir dans la pratique. Si cela vous suffit, c’est parfait. Si vous voulez aller plus loin, je peux vous aider dans la mesure de mon possible. Mais la voie que je suis est la mienne. Elle est bonne pour moi, dans ma vie à moi. Pour chacun, il est question de chercher comment devenir autonome... pas seulement dans sa pratique de l’aïkido, mais dans sa vie.

Qu’est-ce que l’autonomie ? C’est être (autant que possible) maitre de soi (étymologiquement : avoir ses propres règles). C’est pour cela que le terme « maitre » n’a pas beaucoup de sens, selon moi, pour ce qui concerne l’enseignant. Par convention, je veux bien être le « professeur » (sensei, en japonais) pendant que vous êtes les « élèves, » mais c’est une convention. En pratique, nous sommes là pour nous aider les uns les autres. Cela s’appelle l’association. Le professeur n’est là que pour donner une tonalité (ou une sensibilité), la sienne, qui permettra à tous d’avancer, puisque en venant chez moi, vous êtes d’accord avec cette tonalité (certains préféreront, par exemple, un aïkido plus brutal). Personne n’est obligé de rester chez moi, et c’est même le principe d’une école : si l’élève n’est pas d’accord, il s’en va et crée son propre dojo, où il va pouvoir développer son propre aïkido avec sa propre sensibilité, ou bien va voir un autre professeur.

Je suis en parfait accord avec cette formule de Nietzsche : « Il m’est odieux de suivre autant que de guider. » En tant que professeur, je peux être là pour aider, pas pour guider. Je pense que chacun est responsable de la manière qu’il a de faire sa vie. Que je puisse représenter une manière de vivre enviable (en tout cas, c’est ce qu’on me dit souvent), je n’en doute pas, mais ma manière de vivre est adaptée à moi, à mon histoire, elle ne peut être copiée, et chacun doit trouver la sienne propre. L’autonomie c’est donc se donner ses propres règles, mais c’est aussi − surtout − les mettre en pratique. N’avoir de compte à rendre à personne ne signifie pas faire n’importe quoi, non plus. Pour ce qui me concerne, ce n’est pas facile parce que je suis certainement plus exigeant avec moi-même que ne le sont les lois officielles envers les individus.

Vous saurez que vous êtes arrivés à l’autonomie quand vous ne craindrez rien ni personne, que vous saurez que ce que vous faites est bien et juste, que vous vivrez avec plaisir, que vous aurez un minimum de contrôle sur votre vie pour faire en sorte que votre manière de vivre présente ne se transforme pas en regrets futurs... Pour ce dernier point, probablement le plus important pour se simplifier l’existence, il suffit de se projeter dans l’avenir, en s’imaginant un peu avant sa propre mort, et de regarder vers aujourd’hui avec le regard de celui qui arrive au moment du bilan. Vous verrez, votre regard sur le présent devient curieusement plus clair...

Pourquoi je ne vous demande que d’avoir du plaisir dans la pratique ? Parce que mon plaisir à moi vient du plaisir des autres. Et j’aime me faire plaisir ! Si en plus nous pouvons prolonger ce plaisir en dehors du tatami (je pense aux pots, bien sûr), c’est que la pratique dépasse la discipline. C’est pour cela que je dis toujours que les pots c’est au moins aussi important que la pratique elle-même ! Le sens de ma pratique se trouve sur le site : J’y ai mis des idées générales et aussi mes idées propres sur la discipline et sur la vie. Et ce qui probablement est le plus en rapport avec ce que j’écris aujourd’hui est l’article sur le shisei.

Pour être un peu plus clair sur ma vision des choses, je dois dire que le seul vrai maitre que j’ai accepté de considérer comme tel dans ma vie, qui n’était pas un aikidoka, et que je n’ai connu qu’à travers ses ouvrages, a été Henri Laborit. Parce que si je devais me définir, je me définirais comme un humble transmetteur de ses découvertes. Ce que je fais d’à peu près bien, c’est de mettre en lien l’analyse de ce maitre avec la discipline créée par un autre maitre... Morihei Ueshiba. La finalité est la même : la paix ; l’analyse est la même : cela passe par l’absence se compétition, donc l’absence de rapports de domination. Dans un cas, l’approche se fait par une compréhension par le corps, dans l’autre par une compréhension par l’esprit. Pour moi, c’est la même conclusion, et surtout le même art de vivre.

Laborit a été l’un des plus brillants esprits scientifiques du XXè siècle, et après avoir passé sa vie à travailler sans relâche pour comprendre le fonctionnement du cerveau humain, à accumuler des connaissances révolutionnaires et avoir fait tout pour les diffuser au plus grand nombre, il a terminé sa vie avec cette conclusion absolument incroyable, et d’une sagesse infinie : « Je me rends compte qu’on ne fait rien dans une vie d’homme, et qu’on n’a jamais rien fait : ne pas se croire profondément ignorant est un manque de lucidité complète. [...] Que l’on se dise qu’on n’a pas fait grand chose, ou qu’on a rien fait dans sa vie, n’est pas dramatique. On n’est pas là pour faire quelque chose. On est là, autant que possible, pour être bien dans sa peau. »

Bon, ben... bonne réflexion, alors !

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